[INTERVIEW] Lotfaï: un talent pas comme les autres... (1, 2, 3, 4 & 5/5)

Résumer le parcours de Lotfaï en quelques lignes est un exercice périlleux: tour à tour infographiste, monteur vidéo et créateur de sites internet, Lotfaï a fait de l'informatique, d'internet et de la vidéo ses terrains de jeux préférés. Pas question de laisser d'obscures limites le freiner: une volonté de fer, mais surtout un talent en Or: voilà les armes décisives qui ont notamment permis à Lotfaï de travailler sur les derniers projets du Roi de la Pop... Entretien avec un passionné professionnel.


MJ data bank: Comment es-tu devenu fan de Michael Jackson?
Lotfai: Mon tout premier souvenir est très clair: je me rappelle de cette fois où je n'étais pas plus haut que trois pommes. Ma mère m'a appelé pour que je vienne devant la télé. J'avais 4 ans et j'ai vu le clip de Thriller. C'est comme ça que ça a commencé... Et ça ne s'est jamais arrêté. Je n'avais pas peur du clip, j'étais juste fasciné. Je voyais un mec en rouge qui, dans un sens, s'adressait à moi. De la promo Thriller, je n'ai retenu que le clip. J'ai commencé à être conscient de Michael Jackson à partir de BAD. Ensuite, j'ai commencé à acheter des disques et tout ce qui va avec. J'écoutais Michael Jackson, sans arrêt. C'était non stop. A vrai dire, je ne me suis séparé de pas mal de choses que récemment, quand j'ai déménagé, et désormais c'est la musique qui reste. A mes yeux, Michael Jackson représentait une sorte de confessionnal: dès mon plus jeune âge, il était quelqu'un vers qui je pouvais me tourner, à qui je pouvais m'adresser. Au début, c'était un message plutôt visuel. A partir de l'époque Dangerous, je me suis intéressé aux paroles, et j'ai d'ailleurs reparcouru toute son oeuvre dans ce sens.


MJdb: Qu'écoutes-tu à part Michael ?
Lotfai: Jusqu'à Dangerous, je n'écoutais que du Michael Jackson, car pour moi, il représentait la musique. Ensuite j'ai commencé à écouter autre chose. J'ai eu ma période Rap, car je vivais dans du cité où on écoutait du Rap... Et en même temps j'assumais mon côté Michael... C'est pas forcément évident car vers la fin des 80's et le début des 90's, on commençait à parler surtout du physique de MJ... Mais malgré tout, en toile de fond, il reste toujours un grand respect pour sa musique.
Ensuite, j ai écouté du R&B. Pour moi, le Roi du R&B était R Kelly... J'ai beaucoup écouté R Kelly, j'ai même emballé sur du R kelly ! lol... Puis il y a eu Sisqo etc... Au bout d'un moment, j'en ai eu un peu marre... Et j'ai découvert le Rock ! A partir de là, je me suis dit qu'il existait un tas d'autres musiques, si bien qu'aujourd'hui j'écoute de tout: Ben Harper, les Hives, Tchaïkovski (grâce à Michael dans un sens), Amp Fiddler... Je suis ouvert à tous les styles de musiques car j'ai envie de savoir ce qui se fait.

MJdb: Peux-tu nous raconter ton parcours: celui d'un fan qui vit aujourd'hui de sa passion?
Lotfai: Mon beau-père est ouvrier et ma mère femme de ménage. Dans ce milieu, on te dit et fait comprendre que les études sont très importantes. J'étais un méga-cancre à l'école. Le système scolaire ne me convenait pas car j'ai un vrai problème avec l'autorité... J'étais un cancre, sauf en anglais. Du coup, j'ai suivi un cursus professionnel et j'ai enchaîné sur un BEP carrosserie. Mes parents me disaient: "C'est pas Michael qui va te donner à manger", et je leur ai répondu: "Vous verrez, un jour vous serez fier de moi". Du coup j'ai arrêté la carrosserie. J'ai alors eu conscience du risque que comportait cette toute première décision. Je voulais accéder à une formation artistique en passant par les lettres, mais je n'avais pas les notes suffisantes. J'ai donc décidé de me former aux outils informatique en autodidacte tout en bossant dans une pizzeria et j'ai réussi à décrocher un job dans une filiale d'IBM, pendant 6 mois.
La personne qui allait devenir mon parrain dans cette première aventure était le beau-père de mon ex-copine. Il m'a vu dessiner le génie d'Aladdin sur l'une des premières versions de Paint. Il s'est rendu compte que j'arrivais à faire des choses en me concentrant et que j'avais du potentiel. Il m'a alors proposé un deal: me laisser me former seul pendant plusieurs mois sur un logiciel qu'il développait avec, à la clé, un entretien d'embauche. Six mois plus tard, je gagne mon défi et je rencontre son boss. Ils m'ont tous les deux donné ma chance. Au bout de 6 mois, il m'a convoqué et ma présenté mon licenciement comme un tremplin: je venais d'acquérir une expérience professionnelle, c'était désormais à moi de préparer la suite. Aujourd'hui, avec le recul, je me rends compte que je n'étais pas d'une grande utilité dans cette boîte (Rires). J'ai eu la chance de tomber sur une petite poignée de personnes qui ont cru en moi au moment où j'en ai eu le plus besoin. Je leur en serai reconnaissant toute ma vie pour ça. Par la suite, je suis devenu pion dans une école d'architecture, et NBK est né à la même époque. Nous sommes en 1999. Je commençais à vouloir faire comme Christophe Boulmé, car je me débrouillais sur Photoshop. Pour moi, Boulmé est une référence. NBK voulait dire Natural Born King, référence à Natural Born Killers, de Oliver Stone, un de mes films préférés. Après une première version, j'ai créé une V2, qui était plutôt un site de teasing. Je n'arrêtais pas de faire une campagne NBK en annonçant un tas de choses (Rires). je faisais cela sans vraiment savoir où j'allais. J'en suis assez content car je me rends compte que j'avais une vision qui est toujours là aujourdhui.

Michael Jackson était la meilleure école audiovisuelle possible.

Un peu plus tard, un ancien producteur de Disney m'a appellé pour me proposer de travailler avec lui au sein de Expand. Il produisait pas mal d'émissions pour la télé française et avait lancé une filiale dédiée à la création des sites internet autour de ces concepts. J'ai pu le rejoindre assez rapidement car il avait racheté mon contrat à l'université. J'ai ainsi travaillé pour Expand Interactive et j'ai créé les animations Flash pour les site web de Fort Boyard, Belphégor, le tout sans avoir pris de cours en informatique. A mes yeux, Michael Jackson était finalement la meilleure école audiovisuelle possible. Je découvrais les noms et les univers de nombreux réalisateurs grace à ses clips, comme Martin Scorcese. C'est de là que vient mon inspiration, et Black & White a renforcé ce respect de l'image chez moi.

J'ai bossé un an et demi chez Expand tout en continuant NBK. J'ai mis en route la V3 du site, avec une histoire élaborée autour d'un héros, Nathan. Ca ne m'intéressait pas d'apporter des news car je n'étais pas le premier dessus. Je voulais travailler sur l'image. C'est ce qui nous a poussé à créer NBK TV et NBK Radio. On a tourné une émission spéciale Ghosts, présentée par Sabrina. Puis nous avons lancé la radio car nous voulions entendre les fans parler en direct.

MJdb: Pour quelles raisons NBK s'est arrêté ?
Lotfai: Nous aurions pu continuer et faire plein de choses... A vrai dire, je ne sais pas vraiment pourquoi ça s'est arrêté, car on s'éclatait à faire ce site... On ne cherchait pas à décrocher la meilleure audience.... En ce qui me concerne, j'avais envie de passer à autre chose. On a quand même eu envie de retravailler ensemble mais le temps manquait à chaque fois.

Mon but avec NBK était juste "d'y arriver", et pas forcément de durer. NBK était en fait un autre tremplin: il y a eu IBM, l'université, puis NBK. Je voulais passer à autre chose et la vidéo commençait à me titiller. Mais à l'époque, internet ne me permettait pas d'explorer ce domaine à fond, à cause du bas débit...

MJdb: Comment s'est déroulée la transition entre la fin de NBK et les premiers projets de montages vidéo ?
Lotfai: Avec Expand, vers la fin, on ne s'entendait plus trop. J'arrivais souvent en retard, et le fait qu'ils m'aient remercier tombait à pic, car je n'avais plus trop envie de travailler avec eux. C'etait donc un mal pour un bien. Après avoir quitté Expand, je me suis rendu à l'ANPE du spectacle, car j'étais devenu intermittent. J'ai vu une annonce pour la réalisation du montage d'une pub. J'ai postulé en mythonant sur mon cursus, et j ai réussi à décrocher un rendez-vous. Tout allait bien, sauf que je devais ramener mes diplômes. J'ai rappelé et là encore j'ai mythoné en racontant que je connaissais leurs systèmes de montage et autres logiciels. Je leur ai proposé de bosser un mois gratuit, et de me licencier si le résultat ne leur convenait pas. Ils m'ont dit ok en me demandant de leur présenter mes travaux. Je leur avais parlé d'un teaser pour INVINCIBLE, avec le regard de Michael et tout un travail sur du feu et des flammes autour.

J'ai travaillé 4 ans pour cette boîte. Ce fut une vraie formation pour moi: j'ai bossé sur After Effects, puis Media 100 qui a été remplacé par Avid. Je travaillais sur le montage des pubs et je préparais l'habillage des produits.
Cette boîte était composée de deux entités: Opposite Design et 5ème Dimension.
Opposite Design s'intéressait aux disques et 5ème Dimension produisait des clips. J'ai notamment monté un clip pour Lorie - époque Billy Crawford - intitulé "Le weekend" ! Au bout de 4 ans, j'ai quitté Opposite et 5ème Dimension car je voulais voler de mes propres ailes. Mon ambition est de me diriger vers le cinéma. J'ai donc décidé de me lancer en freelance. Quand je regarde mon parcours, tout est allé crescendo, donc je me suis dit que ça ne pouvais pas sarrêter. Pendant un an, je me suis cherché, j'avais monté le Dangerous Freestyle avant de quitter Opposite...

Excellent il a en grosse partie les même gouts et la même vision de la musique que moi. J'ai eu aussi des periodes de style et aujourd'hui j'écoute aussi de tout et aussi Tchaïkovski depuis une paire d'année! C'est enorme Tchaïkovsky.

Sympa cet Interview,une belle histoire, thanks!

Tchaîkovsky, des chefs d'oeuvre

MJ data bank: Comment as-tu été amené à travailler sur le spot publicitaire The Essential Michael Jackson en 2005?
Lotfai: Je me suis mis à travailler pour quelques artistes et un jour Nancy (Lessert, de Sony BMG France, NDLR) a appelé chez Opposite Design pour m'annoncer - après m'avoir demandé de m'assoir au préalable - qu'elle s'occuppait de la promotion d'un nouveau disque pour Michael Jackson et que j'allais pouvoir réaliser mon rêve : participer à la promotion de The Essential Michael Jackson en réalisant les spots publicitaires ! Ce fût un moment intense pour moi, plus rien ne comptait à mes yeux, je venais de toucher quelquechose...

On a commencé à faire le Bed, c'est à dire la bande son de la pub. Pour ce montage de 45 secondes, nous nous sommes enfermés une journée complète dans mon bureau et avons choisi tous les titres qui étaient nécessaires pour bien vendre la compil. Nancy avait déjà, comme à son habitude, une idée précise des titres qu'elle voulait exploiter pour cette campagne. Le challenge, c'était de faire passer en quarante cinq secondes toute la magie de la carrière solo de Michael Jackson pour un public qui n'est pas forcément réceptif au moment d'une plage pub. On a alors cherché les passages les plus marquants. Ensuite il a fallu faire le montage. Pour ça, Nancy m'a alors donné carte blanche. Elle était un peu inquiète car elle veut toujours bien faire et aussi parce que The Essential Michael Jackson était le premier projet Jackson sur lequel nous travaillions. Je m'en rappelle comme si c'était hier, je me vois encore au téléphone lui disant "Fais moi confiance..." C'est à ce moment où j'ai dû prendre un maximum de recul pour savoir quel angle j'allais prendre. La vie a fait qu'à ce moment précis, je n'avais plus que ça à faire. Pour réaliser cette pub, j'ai commencé par un gros travail de dérushage. J'ai donc passé deux semaines complètes à visionner une centaine de bétas contenant des clips, des making of, des archives et à chercher à chaque fois "LE" plan qui serait éventuellement sélectionné dans le montage final. J'ai passé en revue tout ce qui est disponible sur Michael. Nancy m'a transmis toutes les bétas dans un énorme carton. Pour moi, c'était le plus beau paquet cadeau du monde ! Elle m'avait fait confiance et je suis revenu avec un montage auquel elle a très vite adhéré. Dans le milieu de la pub disques, la tradition veut que les titres des chansons soient affichés. J'ai dit à Nancy que je n arrivais pas à les faire apparaître à l'écran car je trouvais que ça anéantissant le montage. Le concept était de faire vivre Michael dans ce spot : Au début la voix de Richard Darbois lance la pub, mais la pièce principale est la musique de Michael. Du coup, Richard n'annonçait pas les titres des chansons et nous étions censés les afficher sur les images. Je me rappelle de ce dimanche, veille de la remise du spot : je déprimais car je ne trouvais aucun moyen séduisant d'amener ces titres que tout le monde connaissait. Ils étaient totalement inutiles. J'ai alors appelé Nancy et m'a finalement dit de ne laisser que la typo "The Essential Michael Jackson" à l'écran et j'ai alors pu me concentrer sur le dernier plan, à savoir le cadre qui tombe du mur.

Il était important d'entendre Michael aussi par ses sons qui sont devenus des signatures. Cela permettait de le faire vivre encore plus dans cette pub. Il fallait combiner l'image et le son pour définir Michael le mieux possible. J'ai cherché à rajouter des sons symboliques comme ses cris ou les bruits de ses pieds quand il danse. Je me suis servi des cris de Michael que l'on peut entendre dans certains clips comme Black Or White, They Don't Care About Us version prison et Ghosts: car Michael Jackson, c'est aussi un ensemble de sons, la seconde partie de Black Or White le démontre bien.

Le premier spot pour The Essential Michael Jackson est né dans cette impatience et dans ce stress. Nous ne nous attendions pas à un tel succès. La compilation a été certifiée disque de platine... C'est un beau succès.

MJdb: Comment est né le second spot The Essential Michael Jackson pour la campagne promo fin 2006?
Lotfai: La pub 2006 est née car Sony souhaitait relancer la campagne de The Essential. Nancy m'avait déjà dit que "The Essential 1" était finalement devenu une référence chez Sony pour d'autres spots: nous avions amené des choses qui ne se faisaient pas jusqu'alors, comme le simple fait de retirer les titres des chansons à l'écran où de briser cette loi rigide qui consiste à mettre des barres scopes en haut et en bas de l'écran pour y poser le logo de l'artiste. Tous ces petits détails ont permis de laisser place à Michael Jackson entre deux pubs au lieu de simplement proposer une pub pour Michael Jackson.
Nous étions persuadé qu'il nous fallait faire différent pour ce second volet : il fallait aller là où on ne nous attendait pas. J'ai grandi avec cette culture et cette approche propres à Michael, qui est celle de toujours surprendte et étonner. Pourquoi briser cette tradition qu'il a mise en place ?
J'ai alors travaillé sur un premier montage en utilisant un extrait audio de la Bande Annonce de Spiderman, un morceau lyrique, style Carmina Burana mais assez différent pour ne pas le copier. La fusion entre l'image et le son de cette version était parfaite ! L'impacte était saisissant ! Mais comme tout n'est jamais simple, elle m'a dit que ce serait difficile d'obtenir ce titre... Et au final, ça s'est tout simplement avéré impossible pour des raisons juridiques... J'ai donc proposé à Nancy d'essayer de faire quelque chose de similaire en prenant un autre morceau. Un morceau dont nous aurions les droits.
Je me suis donc mis à travailler dans cette direction. Les premiers bruits dans le spot sont des percussions que j'ai créées et mixées. Pour le corps du spot, j'ai alors cherché comment nous pourrions utiliser une musique lyrique tout en étant sûr d'obtenir les droits. J'ai fouillé dans le domaine public, Verdi, Carl Orff, j'avais même essayé de placer le titre Ô Verona de Craig Armstrong mais celui-ci était utilisé à outrance dans une émission de TV-réalité. J'ai alors cherché là où nous étions sûrs de n'avoir aucun souci de droit : chez Michael Jackson. La suite devint évidente, j'ai fais plusieurs tests de mixes en utilisant un morceau de l'intro lyrique de Will You Be There. Je ne voulais tout simplement pas que l'on puisse reconnaître du premier coup ce morceau, il fallait juste qu'il soit méconnaissable... Je l'ai alors mélangé à des sons de cymballes et de percussions. Le corps du montage sonore est donc l'intro de Will You Be There qui donne au final cette impression de symphonie. A partir de ce Bed, j'ai conçu le montage que l'on connaît aujourd'hui.

bon, puisque mon cerveau ne marche plus depuis 3 ans, je ne peux pas lire tout ça...

Mais je me fie au jugement de Pacino

queen of pop a écrit:

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Mais je me fie au jugement de Pacino

c'est trop d'honneur!

Tu n'as pas participé au projet Visionary?
Lotfai: Nancy n'a pas eu l'occasion de s'occuper de Visionary. Ce projet a été géré par Epic et non le service Back Catalog. Les USA ont adoré la première pub française de The Essential et cela a inversé la tendance. Pour cet album, trois pubs principales ont été réalisées: une aux USA, une en Angleterre et une en France. Par la suite, chaque pays avait la possibilité depuis un bon de commande d'obtenir la version qui lui semblait la plus adaptée à sa campagne.
The Essential est la base de tout ce qui se passe autour de Michael en France aujourd'hui. Ce spot a fait date. Les USA viennent désormais vers la France. Notre pays est une vraie plaque tournante pour Michael en terme de ventes et elle le restera à l'avenir: il y a eu Black & White, et leur travail restera incomparable. Quand je vois tout ce qu'ils ont réalisé... C'est incroyable... Et je n'aurai jamais la prétention de me mesurer à eux.

MJdb: Thriller 25: Comment est arrivé le projet Thriller 25?
Lotfai: Cela faisait une bonne année que Nancy m'en avait parlé. En parallèle, Sony voulait fêter les 25 ans de Thriller et les 20 ans de BAD. Au final ils se sont concentrés sur les 25 ans de Thriller car Michael s'est investi dedans, contrairement à The Essential qui restait une simple compilation.
Le processus a pris plus de temps que prévu: cela devait sortir fin 2007, puis reporté à début 2008. Je devais bosser dessus à la fin de l'année dernière et Nancy m'a appris que la campagne était décalée, Michael voulait absolument sortir un produit de qualité. Nous avons donc commencé à bosser en janvier.
Thriller représente quelque chose d'intouchable à mes yeux. Travailler sur Thriller 25 a été comme une consécration, comme si la boucle était bouclée: je suis devenu fan avec Thriller et je me suis retrouvé à travailler sur cette nouvelle édition. C'était impressionnant de savoir que Michael travaillait en parallèle sur cet album. Nous ne nous attendions pas à ce qu'il enregistre une reprise de Wanna Be Startin' Sometin'. Je me suis vite rendu compte que je faisais partie d'un projet signé Michael Jackson.



La toute première version de la publicité ne comportait pas de logo. Nous avons commencé par créer un film de 2'20" (que j'ai appelé Natural Born King, en clin d'oeil à mon site, et cela me semblait bien venu pour rendre hommage à une carrière si extraordinaire) que Michael souhaitait voir diffuser avant son entrée sur scène lors de la remise de son prix aux NRJ Music Awards 2008. Pour sa participation à cette cérémonie, Michael avait posé deux conditions : valider la mise en scène du plateau télé (pour son arrivée sur scène) et le montage vidéo qui annonce son prix. TF1, Nancy et moi devions faire nos preuves.

MJdb : Comment t'es tu retrouvé en charge de ce montage ?
Lotfai: Nancy m'a mis sur le coup. Pour la petite histoire, à la base, ce montage aurait dû être produit en interne par les monteurs de TF1. Mais la diffusion d'un film aussi long sur une chaîne nationale était une première depuis HIStory pour Michael. C'était sa première apparition pour Thriller 25, et sa première en France depuis longtemps. Alors Nancy a demandé à Sony et TF1 pendant une réunion spéciale de me laisser réaliser le film. Nous n'avions pas le droit de nous tromper. J'ai réfléchi à un tas de choses et seule la vidéo de Brace Yourself "Carmina Burana" me venait à l'esprit... Sauf que cette séquence a été diffusée à outrance, même si elle fonctionne bien et reste intemporelle. Je me suis mis comme défi d'apporter quelque chose de nouveau tout en faisant un clin d'oeil à Brace Yourself. Nancy a voulu que nous travaillions ensemble, tous les deux. TF1 nous avait demandé 2"20. Nous avions 4-5 jours pour le monter, ce qui est très court lorsqu'on a la chance de travailler avec autant d'archives sur Michael Jackson. Ma façon de travailler est de lancer une première mouture et d'affiner par la suite, je n'avance pas progressivement... Je n'ai pas eu d'enseignement théorique, cela vient peut être de là... En bossant à deux, il faut du temps pour que les idées de l'un fusionnent avec les idées de l'autre... Mais nous n'avions pas le temps pour ce type de processus, j'ai alors demandé à Nancy de me laisser carte blanche comme à l'habitude... J'ai monté sans cesse et je suis passé par cette phase qui me rend à chaque fois dingue quand je suis en pleine période de création. C'est un moment pendant lequel je me cherche, je fouille et je me pousse dans mes retranchements. C'est une vraie souffrance que je subis, je deviens alors vraiment imbuvable ! J'ai mis du temps à réaliser qu'à chaque fois que je dois réaliser quelque chose qui me pousse à être créatif, je passe toujours par cette phase que je hais par dessus tout. Pour certains, la créativité est innée, chez moi, ça ne l'est pas... Et c'est à chaque moment un accouchement très douloureux. Pour ce film, au bout d'une minute d'images montées, je ne savais plus trop où aller. Je savais que cette vidéo allait annoncer Michael, mais je savais aussi qu'il devait le valider. C'était une pression énorme.



Sabryna, ma chérie, a regardé cette première minute, elle m'a dit que c'était génial, mais que ce n'était pas moi. Elle est toujours de bon conseil, et c'est ce qui m'a permis de me taper la tête contre les mûrs (rires) et revenir avec les 2"20 finales. J'ai vraiment souffert pour faire ce film... A un moment, j'ai eu un déblocage: quand MJ tire sur sa veste de costume pendant Dangerous: j'ai entendu les claquements de doigts. J'ai gardé cette idée, et j'ai monté ces passages de claquements, tous différents mais tellement représentatifs de Michael. La musique redémarre sur Dangerous. Tout s'est débloqué. J'ai même pu revenir en arrière et revoir les premiers plans. J'ai terminé le reste du montage en 24 heures, sans dormir. Nancy est arrivée le lendemain. Je lui ai montré tout stressé le final cut et elle m'a dit avec un grand sourire : "C'est exactement ça !!". Nous n'avons apporté qu'une très légère modification, sinon il est resté tel quel.

MJdb: Ce qui est intéressant, c'est de suivre la trame de ces 2 minutes 20...
Lotfai: J'avais crée le Dangerous Freestyle, et un jour avec Sabryna, on s'est amusé à faire un montage... Ce dernier est un peu la base du fameux 2"20, sauf que nous avions utilisé une musique des Rage Against The Machine. On avait choisi la séquence de BAD où Wesley Snipes et Michael se disputent, en y ajoutant des coupures d'images.
Le 2"20 "DEVAIT" commencer par les pieds de Michael. Je n'ai pas mis longtemps à me dire que ce premier plan devait marquer le début de la folie qui allait suivre. J'ai refait la bande son de chaque pas, car la piste originale incluait les sound Fx des paillettes qui tombaient au sol. Je ne voulais pas de ce bruitage, il fallait que l'on soit attentif... Cette même attention studieuse et craintive que l'on a tous eu petits quand le proviseur entre dans la classe. Quand Michael rentre dans une pièce, on le sait. C'est le sens de ce plan. Ensuite, la séquence de Remember The Time avec Eddie Murphy n'est pas du tout raccord visuellement, mais je me suis dit que ce n'était pas grave et que cela fonctionnait malgré tout: le contraste était tellement énorme que ça passait. La trame vient du fait que je tenais à respecter le travail de Michael, et je souhaitais ne pas bousiller le travail des gens qui ont bossé pour lui. Je ne voulais pas être un "boulet" dans l'imagerie Jackson... Et c'est aussi un montage qui s'inscrit dans tout ce que j'avais fait avant. Toutes ces images se sont assemblées avec le temps et je sentais que c'était cohérent de le modeler ainsi...

MJdb: Que penses-tu de Bob Jenkins et de Patrick Kelly: ils ont créé des montages importants dans la vidéographie de Michael: Billie Jean Live 1984, Another Part Of Me, Brace Yourself (Carmina Burana)... Leur travail pour Michael correspond à une évolution importante dans l'histoire du clip: la caméra suit les mouvements de danse et la vidéo s'éloigne de l'axe narratif. Quel regard portes-tu sur eux ?
Lotfai: Je ne me suis pas seulement arrêté sur des références jacksoniennes. Le montage Brace Yourself de Bob Jenkins est incroyable. Il y a aussi ces interludes diffusés pendant l'interview avec Oprah en 1993 qui ont marqué à jamais ma vision du montage. D'ailleurs en y repensant, je me rends compte que la manière dont je raconte une histoire grâce au montage est très inspirée de ces interludes. Revoyez les, vous verrez une ressemblance flagrante!! Ces séquences font partie de mes premiers modèles.
Sally Menke, la monteuse de Tarantino m'a aussi énormément influencé. Le montage est d'ailleurs un boulot pour les femmes. Elles ont une fibre naturelle pour ce métier. Dans le cinéma, les plus grands monteurs sont des femmes. (...) Mon approche de la réalisation consiste à créer quelque chose qui vit au lieu de juste assembler des images et de les coller bout à bout. Ça ressemble à la fabrication de ces monstres ou autres créatures que l'on voit dans les films fantastiques: des êtres indépendants qui sont le fruit de l'assemblage de plusieurs éléments.
J'avais envie de créer quelque chose qui vit au lieu de juste assembler des images et de les coller bout à bout.

MJdb: Est-ce que tu aurais monté différemment un ou plusieurs montages de MJ déjà existants ?
Lotfai: Non, je trouve que toute l'imagerie jacksonienne fonctionne très bien ainsi... Il y aurait cependant une seule exception: You Rock My World. Je trouve que ce clip aurait pu être mieux géré au niveau du montage. Je me suis amusé à créer une vidéo à partir des images de Smooth Criminal avec, en bande son, You Rock My World. Le montage dure une quinzaine de minutes et donne l'impression que MJ chante You Rock My World. Saykou est arrivé en cours de montage, on s'est beaucoup amusé à le faire.



MJdb: Le clip de You Rock My World a été décliné en plusieurs versions, 2 longues, 1 médium et 1 courte. Certains plans changent, idem pour les bruitages... Comme si Michael avait du mal à faire son choix... L'accouchement de ce clip semble avoir été plus douloureux que les autres...
Lotfai: Je pense qu'il manque quelque chose à ce clip. Il y a plusieurs points que j'aime mais certains éléments ne se marient pas bien ensemble. Ce qui me choque à chaque fois, ce sont les bruitages: Michael utilise des cris tirés de Ghosts. J'utilise en partie ces sons car c'est la seule banque de données dont je dispose. Mais je me demande pourquoi il agit ainsi. (...) Le clip que je respecte le plus au niveau du montage est JAM. Il y a un travail vraiment incroyable dans cette vidéo.

MJdb: Dans l'interview accordée à Ebony en fin d'année dernière, Michael précise que chaque plan que nous voyons vient de lui...
Lotfai: C'est vrai qu'il a vite maîtrisé l'image et on le sent dès Can You Feel It qui relève plus du film que du simple clip. C'est un monument.


MJdb: Comment conçois-tu tes montages? La musique arrive en premier? Ou est-ce l'image?
Lotfai: Cela dépend des projets. Pour The Essential #1 : le son est venu avant l'image, d'autant qu'il s'agit d'un spot purement marketing, avec certaines contraintes. Pour The Essential MJ #2, j'ai crée une base pour la bande son, puis j'ai bossé sur les images, avant d'ajuster les deux par la suite en tenant compte des corrections de Nancy. Pour Thriller 25, la bande son est arrivée en premier. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'en pub, la seconde est très chère, surtout lorsque l'annonceur cherche à placer son spot sur un bon créneau (Prime Time etc...). Souvent, la maison de disques te rappelle à l'ordre quand tu débordes. Dans certains cas, particulièrement chez Sony, il est possible de négocier une seconde en plus ou en moins.Pour le montage 2'20" Natural Born King présenté aux NRJ Music Awards, l'image et le son avançaient en même temps. J'ai monté le 2'20" en me disant que j'allais tout donner et qu'il vallait mieux avoir plus que pas assez. Il se trouve que je devais faire 2'30" et je suis arrivé à 2'20". La fin est arrivée d'elle même... Au début, je lance Beat It. Je travaille sur le montage avec cette musique, puis, quand j'arrive au bout de cette partie, que cette dernière est cohérente, et que je sens qu'elle n'a pas besoin d'être rallongée, je stoppe la musique, et attaque une nouvelle séquence... Tout est dans l'équilibre et pas forcément dans le timing. Encore une fois c'est une question de cohérence.

MJdb:Pour les NRJ Music Awards, tu as du raccourcir le 2'20"...
Lotfai: J'ai dit à Nancy que j'aimerais bien venir aux NRJ Music Awards pour voir comment tout allait se passer sur place. On devait terminer des spots TV pour Thriller 25. Il m'était possible de travailler de n'importe où pour ce projet, toutes les archives et mes dossiers concernant Michael se trouvent sur deux disques durs de 1000Go chacun. Avec mon portable, je pouvais donc gérer l'avancée des pubs Thriller 25 tout en assistant à la cérémonie. Je suis donc descendu avec Sabryna et notre fille à Cannes. (...) En arrivant à destination, Nancy m'appelle, paniquée, pour m'annoncer que TF1 n'arrivait pas à télécharger le 2'20" et le message de Michael. Je n'avais pas défait encore mes valises que je me suis rendu en catastrophe au Palais des Festivals. J'ai débarqué avec tout mon matos et je leur ai fourni les fichiers nécessaires.
Comme Michael ne venait plus à Cannes, TF1 ne voulait plus passer le 2'20" mais voulait tout de même diffuser le message. C'était une catastrophe ! Autant d'heures de travail et une validation de Michael dans des délais records. Nous étions abattus. Nancy a alors posé son veto. Il était hors de question de montrer le message sans le film que Michael voulait voir diffusé pendant la cérémonie. Nous avons donc coupé la poire en deux et trouvé un compromis : un format court de ce film 1'18" avait été monté pour la promo cinéma. Je leur ai alors montré et c'est ainsi que les choses se sont bouclées. Concernant le traduction du message de Michael, j'ai pu garder mes typos au lieu de celles souhaitées par TF1. On s'est débrouillé et Michael a pu passer à l'antenne dans les meilleures conditions. Il avait enregistré deux messages. Il bafouillait un peu sur le premier, il était un peu tendu. Nous avons gardé la seconde prise.



MJdb:Que penses-tu des montages vidéo réalisés par les fans ?
Lotfai: Je n'en ai pas vu beaucoup, car je n'ai pas toujours le temps de voir ce qui se passe dans le monde des fans. Je trouve ça génial de voir qu'ils plongent dans cette imagerie jacksonienne.

MJdb:Tu as réussi à apporter ta culture de l'image tout en proposant des montages qui gardent la patte Jackson...
Lotfai: J'ai tellement étudié l'oeuvre de Michael, que ce soit les clips et les chorégraphies... Je m'intéresse à la danse et je pense que ces notions de rythme et de rigueur sont fondamentales dans le montage. Quand je dansais, je le faisais toujours en mirror dans le but de reproduire les mouvements le plus fidèlement possible...

Mais le cinéma reste ma grosse influence. J'ai toujours été fasciné par les bandes-annonces, je suis amoureux de ce format. Elles sont parfois plus intéressantes que le film lui-même. Je pense que cet amour du ciné et du teaser se reflète dans mes montages. Dans mes travaux il y a toujours un break. Celui-ci est un code utilisé dans les montages des bandes annonces cinéma. Dans le 2'20", le premier break permet de montrer MJ. Le second sert à montrer l'impact de MJ sur le public. Ca se découpe en trois temps: MJ / la chorégraphie / l'impact. Voilà la trame du 2'20".


MJdb:Pour le clip de Wanna Be Startin' Somethin' 2008, c'est encore une autre approche...
Lotfai: Oui, je voulais que les images se parlent entre elles... Nancy avait l'envie de retrouver ce que j'avais fait dans mes précédents montages : un pas de danse amorcé dans un clip et qui continue sur un autre. C'est passionnant ! C'est comme recréer quelque chose, redonner une nouvelle vie à ces images. C'est l'effet recherché sur le plan où Michael fait un spin dans Beat It et se retrouve dans le décor de Thriller. Je tiens à garder une connection entre chaque image. J'aurais pu me passer des effets, car la magie de Michael fonctionne toute seule. C'est d'ailleurs ce que Jenkins a fait dans Brace Yourself : il permet aux images de s'enchaîner comme si elles sont les conséquences les unes des autres. Je vis ça comme un hommage à mes prédécesseurs qui ont participé à l'imagerie Jackson avant moi.

MJdb:Quels films t'ont inspiré au niveau du montage?
Lotfai: Il y en a tellement... Il y a Les Rois du Désert, qui m'a inspiré pour le Dangerous Freestyle... Pour ce qui est du montage pur, je dirai Snatch. Concernant Michael, je me suis vraiment inspiré des montages déjà existants. J'ai grandi avec eux, du coup travailler sur ces images est devenu naturel. Mes idées viennent du cinéma, je passe beaucoup de temps à regarder des films. Tous les styles m'intéressent, j'aime le cinéma d'exploitation. Et encore une fois, le teaser est un vrai genre qui reste malheureusement peu reconnu. Pour créer un montage sur Michael, j'ai envie de dire qu'il ne faut surtout pas se limiter aux montages déjà créés. Je pense qu'il vaut mieux utiliser une autre musique que celle de Michael pour que cela fonctionne. C'est ainsi que Sabryna et moi nous sommes éclatés à créer un montage avec une musique de Rage Against the Machine. Paradoxalement, pour le 2'20", utiliser la musique de Michael était, à la limite, une contrainte. Il y avait un morceau de Vivaldi qui aurait pu convenir. Mais j'avais une feuille de route à respecter. L'extrait de Morphine au début n'est pas là pour être reconnu, il est surtout présent pour installer la tension dans le montage.

MJdb:Le mot de la fin?
Lotfai: S'il y a des fans ou des admirateurs qui ont 13-14 ans et qui veulent aller dans cette direction, j ai envie de leur dire "Foncez"! Mes parents me disaient: "C'est pas Michael qui va te donner à manger..." J'ai finalement pu travailler de façon assez proche avec lui sur un projet original : il a validé un montage que j'ai créé pour lui !

J'ai envie de dire aux jeunes de ne jamais laisser tomber : il faut suivre son instinct et son coeur, il faut kiffer.... Tout simplement.

Ayayaille, j'ai la flemme de tout lire.